Historiquement appréciés des diplomates et des « épicuriens de bas étage », ces jeunes poissons minuscules sont les plus savoureux lorsqu’ils sont frits et servis chauds dans la poêle.
Le fait le plus fascinant concernant le blanchon est qu’il n’existe pas. C’est vrai. Je ne veux pas dire que vous hallucinez lorsque vous mettez dans votre bouche un poisson délicieusement croquant et frit, mais ce que vous ne mangez pas, c’est une espèce appelée « whitebait ».
Il s’agit d’une question qui suscitait autrefois de nombreux grattements de tête mais, en Grande-Bretagne, le terme désigne les alevins de petits poissons, en particulier le sprat, parfois le hareng ou l’alose. En France et en Espagne, il s’agit de minuscules anchois et sardines juvéniles, et aux États-Unis, notamment en Nouvelle-Angleterre et à Long Island, il s’agit généralement de capucettes ou de lançons. Selon l’Oxford English Dictionary, le nom de whitebait provient de leur utilisation comme appât pour attraper d’autres poissons.
Au début du 17e siècle, ces petits alevins se trouvaient en quantités énormes dans les eaux de marée de la Tamise et d’ailleurs, pris dans de longs filets à sacs. L’histoire raconte qu’en 1780, un certain Richard Cannon de Blackwall a persuadé les taverniers locaux de servir régulièrement des dîners d’appâts blancs. Le regretté Alan Davidson, historien de l’alimentation, a écrit que Cannon a eu des problèmes avec les autorités qui soutenaient, à juste titre, que cette pratique entraînait une consommation massive de harengs immatures avec des conséquences potentiellement néfastes pour l’espèce. Cannon a cependant convaincu le Lord Maire de Londres que les blanchons étaient une espèce distincte, ce qui a été confirmé par de nombreux historiens naturels de l’époque. Un Français, Valenciennes, a même introduit un nouveau genre, Rogenia, pour renforcer cette affirmation.
La controverse fait rage, mais le whitebait, sucré, succulent et croustillant, devient de plus en plus populaire, tant auprès des riches et des gens à la mode que de ce qu’un auteur appelle « l’ordre inférieur des épicuriens ». Les festins de whitebait ont atteint leur apogée au 19e siècle, lorsqu’il était agréable, à la fin de l’été, de descendre le fleuve pour aller déjeuner à Greenwich, où, dans une auberge surplombant le fleuve, les whitebait étaient cuits fraîchement sortis des filets. Selon Dorothy Hartley, chroniqueuse classique de la gastronomie anglaise, en attendant la cuisson du whitebait, on servait habituellement du water-souchy, un bouillon clair et vert à base de persil et de petits poissons bizarres capturés dans les filets à whitebait. Comme elle le dit, c’était excellent « en bavardant avec vos amis, en regardant le trafic fluvial et en attendant le whitebait ».
Le blanchon frit, tout comme la soupe de tortue, était également considéré comme un plat indispensable pour tous les dîners diplomatiques à Londres. Toutefois, comme l’explique Charles Elmé Francatelli, chef cuisinier de la reine Victoria, « en raison de l’extrême délicatesse de ce poisson et de sa nature très fragile, il ne peut être transporté sur une certaine distance pendant la saison sans que sa qualité soit altérée, et il ne peut être conservé plusieurs heures après avoir été pris. D’où la coutume de le manger absolument frais hors de l’eau à Greenwich ». En effet, un rassemblement du Premier ministre britannique et de son cabinet, autour de la consommation de ces minuscules poissons translucides, est devenu un événement annuel très attendu au Trafalgar, à Greenwich, cours de cuisine limoges juste avant la clôture de la session. Cette coutume s’est poursuivie jusqu’en 1895, l’opposition de Sa Majesté dînant à la Ship Tavern, située à proximité.
Une tradition perdure : le festival annuel du Whitebait à Southend, qui se tient généralement en septembre. Il s’ouvre par la bénédiction de la pêche, lorsque le maire de Southend va voir les pêcheurs remonter les filets.