Boisson magique, hautement alcoolisée, qui est entrée dans l’imaginaire grâce aux poètes et autres artistes des temps passés, l’absinthe reste une boisson emprunte d’une histoire étonnante. Voici tout ce qu’il faut savoir sur l’absinthe. L’absinthe est une plante aromatique connue depuis l’Antiquité comme remède contre les troubles gastriques et intestinaux et contre la perte d’appétit. À la fin du 18ème siècle, un médecin franc-comtois, Pierre Ordinaire, se fit une réputation dans l’actuel canton suisse de Neuenburg pour son elixir à l’absinthe. Après sa mort, deux habitantes de la ville de Couvert, les sœurs Henriod, héritèrent de sa recette. Ces deux vieilles filles l’améliorèrent ; elles commencèrent à distiller l’absinthe et différentes herbes cultivées par leurs soins pour fabriquer une liqueur qui connut un succès modeste comme remède de bonne femme. Or, les Jurassiens y trouvèrent davantage qu’un simple remède. Flairant la bonne aubaine, un certain Major Dubied racheta la recette et ouvrit une distillerie dans la petite ville, en 1798, pour élaborer ce qu’il nomma extrait d’absinthe. ll chargea, son gendre, Henri-Louis Pernod, de le vendre de l’autre côté de la frontière, dans le Jura français. Bientôt, cette eau-de-vie aux herbes très alcoolisée se vendit mieux en France qu’en Suisse. Mais les droits de douane instaurés par Napoléon pesaient si lourd sur son prix que Pernod dut la faire fabriquer en France.
À Pontarlier, près de la frontière suisse, il fonda en 1805 sa propre usine, qui en produisait 16 litres par jour, contre 20 000 litres 100 ans plus tard. Cependant, les débuts furent difficiles. Pernod Fils possédait déjà le monopole de l’absinthe depuis 20 ans, quand elle commença à bien se vendre même si c’était encore pour ses vertus médicinales. Vers 1826, il établit trois autres distilleries à Pontarlier. Un quart de siècle plus tard, a Paris et dans d’autres grandes villes de France, on allait au café en fin de journée pour boire de l’absinthe. Sur la bouteille brillait toujours la croix suisse, de pureté. Cette eau-de-vie à base de Artemesia absinthium distillée avec de l’anis et du fenouil ne se buvait pas pure. Non sucrée, d’une teneur en alcool de 65 à 72 % vol., il fallait l’allonger d’eau et la sucrer selon un véritable rituel: on versait l’absinthe dans le verre, on posait un sucre dans une petite cuiller plate perforée, reposant sur le bord du verre, et l’on versait de l’eau en filet sur le sucre, qui fondait dans la boisson. Ainsi sucrée et allongée, l’absintl1e prenait une couleur d’un vert laiteux qui lui valut ses surnoms : « l’heure verte » et « la muse verte ». S’y adonnerent non seulement des poètes comme Appollinaire, Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, mais aussi la société bourgeoise et des officiers. Boire de l’absintbe était chic, mais onéreux. Cette boisson se démocratisa et devint populaire ä la fin du XIX siècle, où la vogue était à la flânerie. Une foule de « jeunes retraités ››, anciens fonctionnaires, officiers, et commerçants, passaient leur temps libre dans les cafés devant des verres d’absinthe. Son prix était de plus en plus bas, tout comme sa qualité. Bientôt, ouvriers et employés adoptèrent à leur tour l’habitude de boire quelques absinthes et passaient au « cabaret » après le travail, avant de rentrer chez eux.
Mais ce plaisir avait son revers. De nombreux buveurs d’absinthe commencèrent à présenter des troubles physiques et psychiques. On attribua ces troubles au thuyon contenu dans l’absinthe qui, au contact de l’oxygène s’oxydait en thuyol toxique (bien que la véritable cause fût sans doute la piètre qualité de l’alcool). Mais le commerce était florissant : au plus fort de la consommation d’absinthe, Pontarlier comptait 22 distilleries et l’Êtat était le dernier à s’en plaindre, ravi de l’argent que faisait rentrer dans ses caisses cette boisson très appréciée et lourdement taxée. Les avertissements des médecins tombèrent donc dans l’oreille d’un sourd. ll fallut qu’éclate la Première Guerre mondiale pour que la vente d’absinthe soit interdite en France, ce qui fut entériné par une loi en 1915.
Pour la majorité des distilleries de Pontarlier, cette loi fut un arrêt de mort, Quelques-unes survécurent à cette période difficile en se recyclant dans des succédanés. On se concentra sur les herbes qui étaient entrées dans la composition de l’absinthe et l’on découvrit que l’anis, dont l’inocuité avait été confirmée par un décret d’État de 1922, était une excellente matière première. Mais des normes très détaillées prescrivaient un fort pourcentage de sucre, de sorte que la boisson liquoreuse à l’anis ne pouvait remplacer l’absinthe à l’apéritif. l’État français n’autorisa qu’en 1932 une recette adéquate d’apéritif. A Pontarlier, on respira de nouveau. Pernod, autrefois leader du marché, put reprendre son activité en restant fidèle au principe de la distillation d’herbes. L’apéritif ainsi créé, à base d’anis vert, était déjà sucré et, comme l’absinthe, il devait être allongé d’eau. Mais, dans la bataille entre les distilleries concurrentes pour gagner ce marché, la victoire fut remportée par le pastis provençal de Ricard. ll n’y a guère que dans le Jura que l’on parle encore de l' »anis de Pontarlier » et, dans les cafés, on commande tout simplement un « pon ». Avec Cours de cuisine.