Ce n’est pas par hasard que Maurice Edmond Saillard, dit Curnonsky, célèbre critique gastronomique, considérait Lyon comme la capitale de la gastronomie. D’un point de vue culinaire, la ville occupe en effet un emplacement stratégique. Tout est à portée de main : les célèbres volailles de Bresse, l’exquise viande du bœuf charolais, les excellents poissons de la Dombes, le gibier et les champignons des forêts proches, les beaux fromages des monts du Lyonnais et du Beaujolais, les fruits délicats et les tendres légumes de la vallée du Rhône. Au-delà de sa porte nord, s’étend le magnifique beaujolais et, à ses pieds, elle contemple les remarquables vignobles du nord du Rhône. La ville a accueilli une succession de grands gourmets dont les cuisinières savaient tirer parti de la profusion de denrées à leur disposition. Après la révolution et sous le second empire, on festoyait gaiement dans les maisons de la bourgeoisie et des industriels du textile. Les familles fortunées rapportaient de leurs propriétés de campagnes non seulement les meilleurs ingrédients, mais aussi des cuisinières qui savaient les préparer. Mais arriva la guerre de 1870, qui provoqua l’effondrement de l’Empire, et la première guerre mondiale. Cette période de crise fit perdre leur emploi à de nombreuses cuisinières. Certaine ouvrir leur propre restaurant : les « mères lyonnaises », ainsi qu’on est baptisa, préparaient les plats auparavant cuisinés pour leur maîtres en se cantonnant aux ingrédients et à la poignée de recettes qu’elles connaissaient. Mais il existait une autre clientèle, bien plus importante et plus affamée, les ouvriers, les canuts, qui gagnaient leur vie comme manutentionnaire dans le commerce ou dans l’industrie textile, particulièrement la soie. Pour eux aussi, des mères cuisinaient avec autant de dévouement, mais avec des ingrédients moins coûteux et pour un prix plus modeste : elles accommodaient les morceaux dédaignés par les bourgeois, comme les abats et les parties moins nobles du bœuf et du veau, beaucoup de porc et de poissons, comme la carpe ou l’anguille avec des oignons, du beurre, de la crème et du vin en abondance. C’est ainsi que naquit la cuisine des bistrots, bouchons et porte pots, typique de Lyon. Les heures d’affluence étaient le matin, de 6:00 à 9:00, lorsque les ouvriers travaillant la nuit ou tôt le matin dans les usines, sur les bateaux du Rhône et dans les marchés venaient se réconforter. On leur servait des saucisses chaudes aux abats, du lard fumé, Le fameux gras double qui, pané, prend le nom de tablier de sapeur, des pieds de veaux braisés et des pieds de porc farci. La touche finale était un Saint Marcellin ou une cervelle de canut, un fromage frais relevé d’ail et d’herbes. Bien entendu, on buvait un pot de Beaujolais ou de côte du Rhône, un pichet contenant 46 cl. Mais les ouvriers n’étaient pas seuls à en profiter : assis côtes à côtes, leurs supérieurs et les patrons se régalaient avec eux. Ce casse-croûte ou Machon, illustrait des conditions de vie et de travail disparues aujourd’hui. Les lyonnais ont conservé de cette époque les plaisirs de la table. Qu’il s’agisse de cuisine raffinée ou rustique, il recherche la qualité et sont connaisseurs. Ils apprécient avant tous les produits du terroir et l’ambiance détendue des bistrots et des bouchons forts nombreux dans la ville.