Parmi les plus célèbres ambassadeurs de la gourmandise française se trouve un minuscule bonbon d’un blanc immaculé, en forme d’oeuf : l’anis de Flavigny. Sa réputation est telle qu’il est entré dans la version française du Trivial Pursuit. ll existerait depuis 1591, la ville proche de Semur ayant alors adopté l’usage de l’offrir à ses hôtes de marque. De ce fait, cette minuscule friandise aurait l’honneur d’être le plus ancien produit commercial français. Le second, dans l’ordre chronologique est la chicorée Leroux qui, née en 1828, est récente par rapport à l’anis de Flavigny. l’histoire de Flavigny croise celle de Jules César qui y établit ses quartiers en 52 av. J.-C., à 4 km de la ville d’Alésia dont il fit le siège et où il vainquit Vercingétorix. Flavinius, l’un de ses lieutenants, y fit construire une villa (une mosaïque en témoigne) et donna son nom à la commune. Widerad, chef chrétien des Bourguignons, fonda en 719 une abbaye dirigée par des Bénédictins. En 878, le pape Jean VII séjourna à Flavigny, bénit l’église de l’abbaye et reçut des moines trois livres d’anis.
Les Romains avaient déjà eu l’idée de plonger des amandes dans du miel, créant ainsi la forme originelle des dragées. Au Moyen Âge, des apothicaires français fabriquèrent des médicaments au goût agréable en enrobant de miel des graines d’anis et d’autres graines médicinales. ll semble que, pour les moines, l’anis était un remède plutôt qu’une friandise. Pour les Ursulines, en revanche, dont l’ordre s’établit à Flavigny en 1632, il en fut autrement. En enrobant l’anis vert d’une couche de sucre parfumé à la fleur de rose ou d’oranger, elles créèrent la friandise dont la formule est toujours la même aujourd’hui. Depuis, les propriétaires ont changé à la Révolution, l’abbaye fut dissoute et l’église du cloître détruite, mais les villageois poursuivirent la fabrication dans l’enceinte de l’abbaye. La famille Troubat reprit le flambeau en 1923.
À l’origine, la fabrication de ces pastilles relevait d’un processus fastidieux. La graine d’anis était d’abord plongée dans du sirop de sucre jusqu’à enrobage total, puis séchée complètement avant la couche de sucre suivante. Il s’écoulait donc six mois avant d’obtenir le diamètre voulu, ce qui en faisait une denrée rare et coûteuse. Au milieu du XIX siècle, le sucre de betterave permit de réduire les coûts de production et une machine à dragées accéléra le procédé de fabrication. Les belles cuves d’antan, dans lesquelles les graines d’anis tournaient avec grand bruit, existent encore, mais la machinerie à vapeur a été remplacée par des moteurs électriques. Les graines y sont ballotées dans du sirop de sucre, processus au cours duquel l’eau s’évapore, ce qui permet au sucre de coller aux graines. Comme une boule de neige qui augmente de diamètre à force d’être roulée dans la neige, le bonbon grossit jusqu’à atteindre la taille d’un petit pois. Même avec les turbines, il faut deux semaines pour que le bonbon prenne sa taille définitive.
Chaque année, Flavigny produit 250 tonnes de bonbons à l’anis, chacun pesant très exactement un gramme. La production moyenne est d’une tonne par jour, soit 958 904 pièces. Ce processus inchangé depuis des générations a permis à l’anis de Flavigny de conserver sa qualité d’origine. La famille Troubat n’a jamais cherché ã rationaliser la production (pour ne pas menacer les 20 emplois locaux qu’elle assure). l’anis de Flavigny est devenu une institution grâce à une idée révolutionnaire du grand-père Troubat en remplaçant les sachets en papier par de petites boîtes en métal, il a réussi à les implanter dans les distributeurs du métro parisien. L’anis de Flavigny existe aujourd’hui en quatorze parfums : anis, violette, menthe, réglisse, café, cannelle, vanille, jasmin, rose, fleur d’oranger, citron, orange, mandarine et framboise.