Dès le Moyen Âge, des bateaux ont parcouru la Loire, se sont amarrés à Orléans et y ont déchargé leurs marchandises. Tout ce qui était produit sur ses rives et au-delà parvenait à l’ancien évêché. Les marchandises prenaient ensuite le chemin de Paris en passant par la Beauce, ou elles étaient réexpédiées par bateau jusqu’à Nantes, qui devint par la suite un port d’outre-mer important et livra des épices exotiques et d’autres denrées attrayantes provenant des colonies jusqu’à la Loire. Mais les bateaux apportaient surtout à Orléans des fûts de vin d’Anjou et de destinés ä Paris. Cependant, ces fûts pas toujours à destination, au cours du transport, il arrivait que le vin ait tourné lorsqu’ils atteignaient le port fluvial. La seule solution pour les commerçants et surtout les fabricants de fûts consistait donc à acheter ce vin aigre, à en faire du vinaigre et à le vendre. Au Xllle siècle, les professions de vinaigriers, buffetiers et de moutardiers devinrent florissantes. Le 8 octobre 1394, la corporation des vinaigriers fut reconnue par le Roi Charles Vl et Henri lll confirma dans ses droits en 1580 la Communauté des Maîtres vinaigriers d’Ôrléans. Orléans était devenue la capitale du vinaigre français. À la fin du XVIII siecle, plus de 300 fabricants de vinaigre s’y étaient implantés. Mais de nos jours, une seule de leurs sociétés, celle de Martin Pouret, fondée en 1797, a survécu. Dans cette entreprise familiale, que dirige un descendant direct du fondateur, le vinaigre est toujours produit selon le procédé traditionnel d’Orléans.
La fabrication du vinaigre commence par le choix du vin. Aucun procédé soit-il, ne parviendrait à transformer du mauvais vin en bon vinaigre. Si le vinaigre doit conserver des caractéristiques égales, le coupage est important. Le vin sélectionné est pompé à l’intérieur de vaisseaux, des tonneaux d’une capacité de 240 litres, contenant en partie du vieux vinaigre et surtout une « mère de vinaigre ››, une pellicule de bactérie semblable à de la gelée. Ces tonneaux ne doivent être remplis qu’aux deux tiers ou au maximum aux trois-quarts, afin de garantir suffisamment de contact avec l’air. Ils sont entreposés à une température constante de 28 °C, dans les voûtes sombres d’une cave. Dans ces conditions, il faut trois semaines pour que l’alcool contenu dans le vin soit transformé en vinaigre par les bactéries. Cela se passe d’une manière naturelle, sans les procédés d’accélération qui permettent aux installations industrielles modernes d’en produire 30 000 litres en 48 heures. Jeune, le vinaigre est encore trop acre et manque d’harmonie. Comme le bon vin, il a besoin de temps pour se bonifier. Pendant sa période de maturation, il est entreposé dans de vieux fûts ou tonneaux, dont certains sont déjà utilisés depuis 80 ans. ll y vieillit pendant six mois, ce qui lui permet de s’adoucir, mais aussi de développer ses arômes de vin. Le stockage représente un compromis : le vieillissement donne au vinaigre des arômes plus complexes, mais affecte sa couleur. Des cépages différents fournissent des vinaigres de caractère variable, c’est pourquoi la société d’Orléans produit des vinaigres purs avec du pinot noir et du Cabernet franc, ainsi que du Chardonnay et du sauvignon blanc. Elle parfume en outre le vinaigre avec de l’estragon, de l’échalote, du jus de citron ou des herbes de Provence, de la menthe ou framboises.